La séance de tirs au but

C’est mieux que les duels dans les westerns. Sept ou huit minutes apoplectiques, à l’issue des matchs qui ont trop duré. À la fin de la prolongation déjà, certains joueurs sont saisis par des crampes, mais on ne peut plus faire entrer de remplaçants : l’héroïsme commence. L’arbitre siffle la fin des cent vingt minutes, sans trop déborder – on sait très bien qu’on doit en venir là. Les exhortations véhémentes des entraîneurs font soudain place à un calme presque compassionnel à l’égard des joueurs. Il ne s’agit plus de les encourager, mais de les livrer au destin, avec les ménagements d’usage, quelques tapes dans le dos qui ressemblent à des condoléances. Tous ceux qui ont accepté de tirer se rendent dans le rond central avec les deux gardiens de but. Ils sont soudain si loin de tout, prisonniers dans ce cercle du courage.

On tire au sort entre les deux capitaines pour désigner celui qui choisira le but où seront exécutées les hautes œuvres. Le gagnant désigne toujours la cage derrière laquelle sont rassemblés les supporters de son équipe, et le public entier recommence à donner de la voix, de la crécelle, de la trompette, du tam-tam. C’est dans ce charivari que les tireurs et les gardiens vont s’affronter comme des somnambules. Une guerre des nerfs où chaque geste compte. Il y a parfois une surprenante poignée de main franche entre goal et tireur. Mais le plus souvent ce sont d’infimes provocations, des tentatives d’agacement masquées d’indifférence. Le gardien de but dirige le manège. Il laisse le ballon au fond des filets pour que le tireur aille l’y chercher, s’englue quelques secondes dans la nasse, y perde encore du peu de sérénité qui lui restait. Pourtant, le buteur tente de donner le change en prenant tout son temps quand il place la balle à l’extrémité du point de penalty. Sa finesse devient infinitésimale : s’il oblige l’arbitre à intervenir pour replacer le ballon, c’est lui qui fait les frais nerveux de l’opération.

A chaque tir réussi, le buteur exprime moins la joie que le soulagement. Les plus audacieux – ou les plus inconséquents -lèvent le poing vers les supporters adverses. Mais l’entraîneur reste impavide : c’est à peine si son rythme masticatoire s’emballe autour de son chewing-gum.

Tout ce rituel de têtes baissées, résignées, de silhouettes accablées, ces tensions contenues, et puis la fin, si dérisoire – après la cruelle beauté du drame, l’épilogue sonne faux.